samedi 1 février 2014

Handisport, science-fiction : l'athlète de 2064 - L'Équipe explore le futur

Dans un grand dossier, l'Équipe explore des futurs possibles : avec les progrès de la science et de la médecine, à quoi ressembleront les athlètes en 2064 ?


L'Équipe se lance dans un scénario surréaliste, où le sport "traditionnel" et le handisport disparaissent pour devenir du "biosport" : la frontière entre handicapé-e-s et valides n'existe pour ainsi dire plus, les êtres humains étant dorénavant "améliorés" par la technologie :
« Ce fut une cérémonie d’ouverture comme on n’en avait jamais vu... Devant plus de 70 000 richissimes invités, débarqués en grande pompe du monde entier, le spectacle proposé par le Comité d’organisation des Vème Jeux Biolympiques resta dans les mémoires. (...) Tous conscients qu’en ce début d’été 2064 l’histoire du sport, qui a longtemps avancé à grands pas, courait désormais à une vitesse irréelle...
(...)
Aujourd’hui, les financiers du sport n’ont plus rien à voir avec les équipementiers traditionnels – maillots, chaussures, ballons, vélos... –, ce sont surtout des fabricants de prothèses, de grands groupes pharmaceutiques, des assureurs mondiaux, sans oublier les départements militaires des nouveaux supra-États qui dépensent sans compter des budgets faramineux pour soi-disant « améliorer les performances de l’être humain »...
(...)
Les historiens du sport, souvent rémunérés par ces mêmes grandes compagnies, racontent que la disparition de la frontière entre sport de valides et de non-valides date des années 2020 et que, progressivement, les performances des sportifs « classiques » ayant atteint leurs limites, les records n’ont plus été battus que par quelques non-valides autorisés à concourir avec eux. Ils citent même comme pionniers un certain Oscar Pistorius, sprinteur sud-africain qui défraya la chronique criminelle, et le sauteur allemand Markus Rehm, premier humain à avoir dépassé les neuf mètres en longueur.
On peut d’ailleurs y voir un étrange retournement de l’histoire : repoussés désormais dans l’antichambre du sport, les JO qu’on a appelé un temps « modernes » se disputent désormais quinze jours après les « Bio », dans des enceintes désespérément vides et avec de bien maigres retours médiatiques... Soutenus par quelques militants un peu rétrogrades qui souhaiteraient un retour en arrière. »

Quel retournement de situation en effet ! Un retournement qui est un des ressorts classiques de la SF, comme on peut le voir dans La Planète des Singes par exemple. Variations modernes sur le même (vieux) thème de l'arroseur arrosé. Et qui permettent, le temps d'un film, d'un livre, d'un dossier de l'Équipe, de changer sa vision du monde en changeant de perspective. Et d'en garder, pourquoi pas, de précieux enseignements ou réflexions.

Mais au-delà de l'aspect "évolutif" – quels choix fera l'espèce humaine confrontée aux progrès scientifiques, que deviendront les êtres humains du futur, et seront-ils toujours "humains" ? – un aspect intéressant du scénario imaginé par l'Équipe est celui de la disparition de la frontière entre valides et handicapé-e-s.

Car cette frontière, tangible, réelle – une simple marche d'une dizaine de centimètres de haut en est un rappel banal et cruel – n'en est pas moins ténue. Certain-e-s handicapé-e-s guérissent et "redeviennent" valides ; certains valides se croutent au ski et deviennent lourdement handicapés.

Et puis, cette frontière est surtout peu pertinente, en termes notamment d'accessibilité. 
Je prends régulièrement le temps d'expliquer que penser à l'accessibilité pour les handicapé-e-s, ce n'est justement pas penser QUE aux handicapé-e-s : c'est penser à tout le monde.

Qui n'est pas heureux aujourd'hui de pouvoir utiliser une télécommande ? Pourtant cette invention est surtout utile aux personnes handicapé-e-s, quand on y songe.

Les escaliers : sont une plaie pour bien des gens, et pas que les handicapé-e-s.
Les enfants, ainsi que les personnes âgées, ont du mal à monter les marches.
Le risque de chute et les séquelles potentielles sont importantes, en raison de la forme des marches et de leur arête saillante.
Enfin, les escaliers ne sont pas une galère que pour les fauteuils roulants ou les personnes en béquilles ; c'est aussi la grosse galère pour les caddies, les poussettes, les valises, les vélos, les chargements et livraisons, etc.

Des portes plus larges et moins lourdes ou difficiles à ouvrir, idem, ce serait utile pour tout le monde.

C'est pareil pour les trottoirs. Et c'est pareil pour environ tout.

Repenser l'accessibilité, ce n'est pas repenser l'architecture, la voirie, les transports, et les équipements pour seulement 5% de la population. C'est repenser l'architecture, la voirie, les transports, et les équipements pour tous.
Pour les enfants, pour les vieux, pour les handicapés, pour les femmes enceintes, pour les travailleurs fatigués après une journée de boulot, pour les bébés en poussette, pour les businessmen affairés entre Paris et Manhattan et leur valise (ah, les hommes pressés...), pour les valides qui sont "temporairement" handicapés par une entorse ou une fracture...
Pour les êtres humains. 
Et non pas prioritairement pour les voitures. Ou les aéroports. Au détriment, in fine, de l'être humain à qui ces inventions sont sensées être utiles.
(ce serait bien aussi de ne pas oublier les autres animaux et globalement l'environnement, hein, tant qu'à faire)

Aussi, je vous demanderais de ne pas céder à la facilité et aux clichés, de ne pas être aveuglés par cette apparente frontière entre valides et handicapé-e-s, et par les discours d'hommes et de femmes politiques, d'entreprises, d'élu-e-s, de collectivités, de services publics, etc, qui nous resservent toujours les mêmes arguments : « On ne peut pas investir autant (d'argent, de temps, d'énergie) pour si peu de personnes (les handicapé-e-s). »
Car, dans les faits, il ne s'agit pas d'investir pour les handicapé-e-s. Il s'agit d'investir pour tous.
Et accessoirement ce sera aussi utile aux handicapé-e-s.

Alors.